(1906-1995)
Quel est le fondement de l’éthique? Cette question a hanté Levinas tout au long d’une existence qui a façonné son sens aigu de la précarité de la vie humaine: né en Lituanie dans une famille juive en 1906, il a connu les persécutions antisémites, l’exil en Ukraine lors de la Première Guerre mondiale, l’émigration à Strasbourg, puis à Paris, l’enfermement et la déshumanisation dans les camps de prisonniers allemands lors de la Seconde Guerre mondiale, etc.
Le fondement de l’éthique, c’est la rencontre du visage d’autrui, répond le philosophe dans son maître ouvrage, Totalité et Infini (1961). À condition de comprendre que «le visage n’est pas l’assemblage d’un nez, d’un front, d’yeux», qu’il ne se réduit pas à sa matérialité. «La meilleure manière de rencontrer autrui, c’est de ne pas même remarquer la couleur de ses yeux!» Une nuque, à sa manière, peut d’ailleurs faire visage, car «sur elle se lit […] toute la mortalité nue et désarmée». Le visage, c’est donc avant tout l’expression de la vulnérabilité d’autrui. Peu importe que cet homme qui me fait face soit bien portant, qu’il vive dans des conditions matérielles confortables : son visage témoigne irrémédiablement de la « mort dissimulée dans son être [et de] la honte de sa misère cachée ».
Le face-à-face avec le visage est toujours, en même temps, un appel à la responsabilité. «Reconnaître autrui, c’est reconnaître une faim. Reconnaître autrui, c’est donner.» Je ne peux pas voir vers quelqu’un «les mains vides». L’appel à l’aide qui émane d’autrui exige que je renonce à mon existence égoïste et me sacrifie pour lui. Mais cette responsabilité est infinie: jamais je ne parviendrai à supprimer la vulnérabilité de l’homme qui me fait face, car jamais je ne pourrai le sauver de la mort. Pire encore, le visage d’autrui porte en lui la présence d’un «tiers», et, in fine, de toute l’humanité. «Je suis responsable d'une responsabilité totale, qui répond de tous les autres et de tout chez les autres», conclut Levinas. Personne ne peut endosser cette responsabilité à ma place. Et cependant, je ne dois rien attendre en retour.
Cette exigence infinie, souvent jugée excessive et impossible à assumer, est pour Levinas à la mesure de la violence de l’histoire: le «tu ne tueras point» qui s’exprime dans le visage d’autrui est aussi, «en quelque manière, une incitation au meurtre, la tentation […] de négliger complètement autrui», d’abolir ma responsabilité à son égard. Pourtant, le meurtre qui voudrait nier l’humanité d’autrui, se contredit lui-même: on ne peut tuer qu’un homme, pas une chose.
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